Le cinéma nippon réhabilite les kamikazes avec une ode patriotique
le 21/5/2007 à 7h56 par Philippe Agret (AFP)
Dans le sillage du "Yamato", superproduction de 2005 sur un célèbre cuirassé géant coulé lors d'une mission suicide en 1945, le cinéma nippon glorifie aujourd'hui les kamikazes dans un film à gros budget écrit et produit par le maire de Tokyo, Shintaro Ishihara.
"Pour Ceux Que Nous Aimons" est une oeuvre emblématique du Japon de Shinzo Abe, le jeune dirigeant conservateur qui veut bâtir une "belle nation" sur le retour aux valeurs traditionnelles, notamment le patriotisme.
Ce film à grand spectacle --dédié "à la bravoure et à la beauté de la jeunesse-- est sorti le 12 mai dernier sur 326 écrans. Les studios Toei escomptent 2 millions de spectateurs et 2,5 milliards de yens (15,2 millions d'euros) de recettes sur les cinq premières semaines d'exploitation.
"Le film attire des spectateurs très variés, des adolescents jusqu'aux septuagenaires. C'est un public qui se dit très intéressé par l'Histoire", assure un porte-parole de Toei.
Nul autre que le nationaliste Shintaro Ishihara, 74 ans, était mieux placé pour produire un film à la gloire des jeunes kamikazes qui tentèrent en vain d'empêcher l'inéluctable défaite du Japon.
Ishihara, romancier à succès avant de faire de la politique, a lancé le projet il y a huit ans.
C'est lui qui a choisi le metteur en scène, Taku Shinjo, 63 ans, originaire d'Okinawa, pour tourner son script avec un budget de 1,8 mds de yens (12,4 M EUR).
"Sans Ishihara, nous n'aurions jamais pu de faire le film et attirer des stars", reconnaît M. Shinjo.
Le film se base sur des interviews de M. Ishihara avec Mme Tome Torihama, surnommée la "mère des kamikazes", qui tenait un restaurant à Chiran, base aérienne du sud du Japon d'où décollèrent 439 kamikazes.
Décédée en 1992, Mme Torihama --interprétée par la grande actrice Keiko Kishi-- était devenue une mère de substitution pour ces jeunes aviateurs, souvent des étudiants, avant leur ultime envol.
Le film est une suite de sketches sur la dernière nuit d'une unité, tirés de faits réels et décrivant des héros fortement stéréotypés: un pilote qui échoue à remplir sa mission, un Coréen qui va mourir pour l'Empereur du Japon en fredonnant une célèbre chanson coréenne.
Taku Shinjo se défend d'avoir fait oeuvre de propagande nationaliste: "Ce n'est pas un film politique. J'ai voulu dépeindre des jeunes gens qui se sacrifièrent pour défendre leur pays. Je n'ai pas voulu biaiser la réalité historique ni glorifier les kamikazes. Ce n'est pas un film d'extrême-droite".
"Les Japonais ne savent rien de ce qui est arrivé pendant la Seconde Guerre mondiale", déplore-t-il.
Près de 4.000 kamikazes trouvèrent la mort au manche de leur avion lesté de bombes de 250 kilos, souvent abattus par l'ennemi américain avant d'atteindre leurs cibles entre le 25 octobre 1944 et le 15 août 1945.
Le mot kamikaze signifie "vent divin", en référence aux typhons providentiels qui détruisirent les flottes d'envahisseurs mongols au 13e siècle. Mais les pilotes-suicide sont connus au Japon sous le nom de "tokkotai" (de "tokko": unité d'attaque spéciale).
Au lendemain de la guerre, les ex-kamikazes, souvent culpabilisés d'avoir survécu, se sont fait discrets, témoins embarrassants et stigmatisés, tout en continuant de hanter l'imaginaire d'un Japon qui voulait les oublier.
"Pour Ceux Que Nous Aimons" est la dernière superproduction nippone à revisiter des épisodes sanglants de la Guerre du Pacifique (1941-45) en vantant des valeurs patriotiques taboues depuis la défaite.
Soixante ans après, ces films sont représentatifs d'une nouvelle vision du passé de plus en plus en vogue, qui a tendance à réhabiliter ces jeunes pilotes ou marins qui par leur sacrifice ont permis --c'est le message-- après la guerre le réveil du Japon, devenu démocratie pacifiste et géant économique.
Certains historiens parlent de "nationalisme cicatrisant", beaucoup de Japonais ayant perdu confiance dans leur pays pendant la stagnation économique des années 1990 et cherchant à se rassurer dans le patriotisme.